Les « Penn Sardin » : celles qui osèrent défier leurs patrons

« La femme courageuse vaut deux hommes courageux ». Quand j’ai découvert l’histoire des « Penn Sardin », la citation du philosophe Gabriel Meunier a pris tout son sens. Au début du XXe siècle, sur la terre des sardines, ces ouvrières bretonnes au caractère bien trempé ont osé faire grève pour défendre leurs droits et leurs conditions de travail. Ne pas accepter la misère et ne pas se résigner, telle est la volonté de ces femmes, à juste titre, révoltées.

Douarnenez, Terre des sardines

Au début du XVIIIe siècle, en Bretagne, la sardine connaît un essor fulgurant. Grâce à une spécialité locale, la sardine, qui grâce à une technique qui la presse lui permet de se conserver plusieurs semaines, la ville de Douarnenez devient riche. Un siècle plus tard, la commune est en pleine industrialisation, les conserveries fleurissent et la région attire de nombreux ouvriers, souvent peu qualifiés, à la recherche d’un emploi ; une aubaine pour les patrons locaux qui recrutent à tour de bras une main d’œuvre malléable et bon marché. À la fin du XIXe, Douarnenez respire au rythme de l’arrivée des poissons et devient le premier port sardinier de France. Les grandes familles de Douarnenez se partagent les recettes de ce commerce très rentable de la sardine.

Des ouvrières exploitées

L’activité est en pleine croissance et le nombre d’ouvriers ne cesse d’augmenter. La plupart sont des femmes, que l’on surnomme « les Penn Sardin », traduction de « tête de sardines » en breton, en référence à la coiffe qu’elles portent à l’usine pour attacher leurs cheveux. Dans son livre Histoire des sardinières du littoral breton, Anne-Denes Martin détaille l’organisation du travail dans l’usine : « Au sommet de la hiérarchie, les contremaîtresses […]. Puis viennent les étèteuses-emboîteuses-sécheuses, les saleuses, les cuiseuses, les charoyeuses ou manoeuvres qui apportent la sardine ; et enfin les femmes de bouillotte qui ont tâche de surveiller le temps d’ébullition, de vérifier les boîtes de sardines puis de les essuyer ». Ces tâches répétitives et épuisantes sont réalisées dans des conditions misérables et dans une ambiance olfactive mêlant poissons pourris et transpiration. Dès dix ans, des fillettes sont priées de prendre aussi le chemin de l’usine, dans les mêmes conditions que leurs parents. Il y a aussi des femmes de 80 ans, employées à vérifier les boîtes de sardines puis à les essuyer, pour une somme dérisoire. La course au rendement n’a pas de limite…. Malgré les circonstances, les Penn Sardin ne rechignent pas à se tuer à la tâche. Comme à la guerre, c’est en chantant qu’elles se donnent du courage. (Si vous souhaitez pousser la chansonnette, chantez sur Penn Sardin !)

La rébellion des Penn Sardin

La grève de 1905

À la fin du 19e siècle, les sardinières lancent leur propre syndicat, un comité pour dialoguer avec les usiniers. Elles nomment Eulalie Belbéoch à la tête du mouvement. Leur revendication ? Être rémunérées à l’heure et non plus au rendement. En effet, les employeurs admettent que les Penn Sardin détiennent, à force de travail, une habileté et un savoir-faire hors pair. Pourtant, elles restent les ouvrières les moins bien payées du pays, notamment parce que l’usinier, seul maître à bord, a le pouvoir de minorer la quantité de poissons traités et donc de sous-évaluer le salaire de ses employées. Lorsque la pêche est fructueuse, celles-ci peuvent travailler jusqu’à dix-huit heures d’affilée. Les patrons ne voulant rien entendre, la situation dégénère et un premier conflit éclate : une grève débute alors, en janvier 1905 et prend fin à l’été de la même année. Les Penn Sardin obtiennent gain de cause, mais le salaire nouvellement acquis ne leur permet toujours pas de subvenir à leurs besoins.

Une deuxième vague de manifestations soutenues par le maire

Pendant une vingtaine d’années, leur salaire stagne. Pire. La nouvelle législation du travail et notamment le temps de travail de huit heures instaurées en 1919 ne sont pas respectés par le syndicat des usiniers. Que ce soit la majoration des heures supplémentaires, le travail de nuit, normalement interdit aux femmes, ou les heures d’attente, rien n’est réalisé dans le cadre légal. La situation se détériore. Une seconde grève se prépare. Les ouvrières qui, pour la plupart, sont les descendantes des grévistes de 1905 mènent une seconde révolte. Une nouvelle fois, elles réclament un salaire décent et de meilleures conditions de travail. Un conflit bien plus violent que le premier émerge. Le patronat, protégé par l’État, veut maintenir ces ouvrières dans la misère. Du jour au lendemain, les Penn Sardin arrêtent de travailler et manifestent dans les rues de Douarnenez. Dans la première et unique ville communiste de France de l’époque, un homme les soutient : le maire Daniel Le Flanchec. Fraîchement élu, celui-ci est en première ligne dans les manifestations, pour faire entendre leurs voix.

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L’attaque du café

Pendant six semaines, du 21 novembre 1924 au 6 janvier 1925, la ville est le théâtre d’une lutte violente entre les sardinières, la police et les briseurs de grève engagés par le syndicat des usiniers. Les Penn Sardin résistent à tout : la menace de perdre leur emploi, la pression du patronat, la violence des manifestations. Ces femmes se battent corps et âme pour sortir de la misère. Déterminées, elles ne cèdent pas malgré les intimidations. Elles crient haut et fort : « Pemp real a vo ! », « Ce sera 1,25 franc [de l’heure] ! » (5 euros). Malheureusement, le courage et la ténacité dont elles font preuve ne font pas changer d’avis les usiniers. Toutefois, leur combat force l’admiration des représentants syndicaux et politiques de la France entière. Au début de l’année 1925, après plus d’un mois de confrontation, le conflit s’envenime. Des briseurs de grève pénètrent dans un café où se trouve Daniel Le Flanchec et lui tirent dessus, le blessant au cou. Celui qui vient d’être destitué de ses fonctions par le préfet pour sa participation active aux manifestations, sera soigné et rentrera à Douarnenez, en héros. Cette tentative de meurtre accentue les tensions, et l’hôtel où séjournent les briseurs de grève est saccagé, en guise de représailles. L’opinion publique commence à soutenir les Penn Sardin. Quelques jours après « l’attaque du café », le préfet pousse deux membres du syndicat des usiniers à la démission.

La victoire des « têtes de sardines »

Le 8 janvier 1945, après quarante-six jours de grève, des accords sont signés :

  • toutes les heures de présence à l’usine sont désormais payées ;
  • les femmes obtiennent un relèvement de leur salaire horaire à un franc ;
  • les heures supplémentaires et les heures de nuit sont majorées de 50 %.

Aucune sanction pour « fait de grève » ne sera prise. Les responsables de la tentative de meurtre ne sont pas condamnés, mais Daniel Le Flanchec sera réélu aux élections municipales de 1925.

La bataille menée par ces femmes admirables nous rappelle qu’aujourd’hui encore des travailleurs sont exploités ; il existe 21 millions de victimes du travail forcé dans le monde selon l’OIT, l’Organisation Internationale du Travail. Si vous souhaitez vous immerger davantage dans cette révolte bretonne, lisez Histoire des sardinières du littoral breton, d’Anne-Denes Martin, ou visionnez le film Penn Sardines, de Marc Rivière, une fiction avec pour toile de fond l’histoire des Penn Sardin.

Mike Ahamed et Violaine B.

 

 

En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent

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